Le Watergate : Le regard de la presse bretonne sur ce « banal cambriolage » devenu une affaire mondiale

Le Watergate : une tentative d’espionnage digne d’une histoire des « Pieds Nickelés » ! Voilà ce que l’on peut lire le 15 mai 1973 dans le quotidien breton Ouest-France, quelques jours avant l’ouverture des audiences de la commission sénatoriale aux Etats-Unis. Un an auparavant, le 17 juin 1972, cinq cambrioleurs sont arrêtés à Washington, au siège de campagne du Parti démocrate. Ils possèdent sur eux du matériel d’écoute qu’ils étaient sur le point de dissimuler. En pleine campagne présidentielle, il ne fait nul doute qu’il s’agit d’une manœuvre du Parti républicain de Richard Nixon, candidat à sa propre réélection. L’affaire est vite étouffée par le FBI et Richard Nixon est réélu aisément le 7 novembre 1972 face à George McGovern.

L'immeuble du Watergate à Washington, à la fin des années 1970. Collection partiuclière.

Deux journalistes du Washington Post relance pourtant l’affaire. Bob Woodward et Carl Bernstein mènent en effet leur propre enquête, profitant des renseignements d’un informateur secret surnommé « Deep Throat » (« Gorge profonde »). L’enquête fait grand bruit et les deux journalistes reçoivent prix Pulitzer en 1973. De l’autre côté de l’Atlantique, en Bretagne, Ouest-France s’interroge le 15 mai sur le « business » du Watergate dans un article intitulé : « Watergate : une histoire toute simple qui devient une affaire en or » (Ouest-France, 15 mai, p. 5) :

« Le scandale du Watergate alimentera les chroniques pendant de nombreux mois encore. On annonce aux Etats-Unis la sortie pour l’été prochain de nombreux livres sur la question. Les deux lauréats du prix Pulitzer, journalistes au Washington Post, Bob Woodward et Carl Bernstein ont reçu une avance de 55 000 dollars pour raconter leur enquête. L’ancien directeur de la campagne électorale du sénateur McGovern publiera également un ouvrage sur l’affaire. Même les espions-cambrioleurs du Watergate, James McCord et Howard Hunt, raconteront leurs exploits dans un livre qui constituera un ouvrage de première main. »

Si les journalistes ne mesurent pas encore les conséquences internationales du scandale, ils comprennent néanmoins que l’affaire fait vendre du papier. Et si le quotidien rennais est un brin critique, il ne manque pas de profiter de l’occasion pour publier lui-même une série d’articles. En effet pendant près de 14 mois, la presse bretonne suit avec beaucoup d’intérêt les rebondissements de l’un des plus grands scandales du XXe siècle. Cette série se ponctue le 7 août 1974, date à laquelle Nixon est « poussé à la démission » (Ouest-France, 8 août 1974, p. 2).

L’information, en réalité officialisée le 9 août, n’est plus une surprise. En effet, « le monde attendait la démission de Nixon » (Ouest-France, 9 août 1974, p. 2), depuis que les pressions se multipliaient à son égard. Après deux ans de rebondissements, il s’agit selon Ouest-France du « Triste épilogue d’un cambriolage ». Mais c’est également le début d’une période d’incertitude comme le précise le quotidien breton. Le bilan international de Nixon étant jugé « spectaculaire » (Ouest-France, 10-11 août 1974, p. 3) –  malgré l’enlisement au Vietnam –, son départ brutal remet brusquement en question certaines alliances géopolitiques.

Nixon et Zhou Enlai portent un toast lors de la visite historique de 1972. Richard Nixon Presidential Library and Museum: WHPO 8555-09A.

La principale inquiétude, dans un contexte de guerre froide, vient naturellement de Moscou. C’est, selon un journaliste breton, « un coup dur pour M. Brejnev qui a toujours joué à fonds la carte Nixon avec lequel il avait engagé une politique de détente » (Ouest-France, 10-11 août 1974, p. 4). En Chine, l’inquiétude est similaire, Ouest-France craignant que « les dirigeants puissent, eux-aussi, ressentir un certain malaise à la suite du départ de l’homme qui, en 1972, avait normalisé les rapports entre les deux pays ». Dans le monde arabe, c’est davantage la nomination de Gerald Ford qui inquiète. Et pour cause, « certains attribuent la démission de M. Nixon à des intrigues sionistes [puisque] M. Ford a été le seul officiel américain à avoir reconnu en Jérusalem la capitale unifiée d’Israël et l’on craint que ce pays n’adopte une attitude plus intransigeante ». De son côté, plus pragmatique, la première réaction officielle du gouvernement français est celle du ministre des Finances, Jean-Pierre Fourcade, qui s’inquiète « de l’équilibre du marché international des changes ». Le début du mois d’août 1974 marque donc l’épilogue d’un banal cambriolage devenu une affaire aux conséquences mondiales.

Yves-Marie EVANNO